Eaux, bois et maringouins

Notre pause d’une journée aux 4 fourches nous a permis de laisser passer l’orage humide et de recharger les batteries. Jeudi 1er août, nous remontons sur nos vélos.

Jour 6 : Les 4 Fourches – Gracefield (43 km)
Il faut dire que quand j’ai imaginé ce circuit, dans l’avion nous amenant de Tahiti à New York, je n’avais aucune référence sur le terrain, la météo, le dénivelé … la seule certitude, optimiste, était que notre mouflon devait bien avoir l’âge de rouler 40 à 60 km chaque jour. Nos premiers contacts à Montréal nous avaient permis de dégrossir ce parcours : de Montréal suivre le P’tit train du Nord, descendre jusqu’à Ottawa par la Véloroute des Draveurs, puis prendre direction soleil levant le long de la rivière des Outaouais et revenir à Montréal. Au fait, la Véloroute des quoi ? Le draveur, c’était ce gars, qui habitait dans des camps en forêt, et oeuvrait comme bûcheron pendant l’hiver. A la débâcle, quand les eaux étaient libres du gel, il poussait les grumes sur la rivière, armé de sa « pique » ou sa « drave ». Il les accompagnait au gré du courant, sautant de l’une à l’autre avec ses bottes cloutées, jusqu’aux scieries en aval. Pour fêter sa mémoire, on lui donc a dédicacé une véloroute : comme le dit le dépliant touristique, elle « offrira au cyclotouriste un point de vue sur des paysages pittoresques et lui fera vivre des moments agréables sans tracas, ponctués de nombreux lacs où il pourra se baigner – même si une partie de la véloroute peut être considérée de niveau intermédiaire, étant donné qu’il y a une majorité de portions faites de terre ou de pierre tassée ». A chaque époque ses difficultés : à nous les cailloux qui secouent les vélos et la poussière qui remplit les bronches, au draveur du XIXe siècle les maladies des camps hivernaux, l’hypothermie et la noyade dans la rivière.

Jour 7 : Gracefield – Wakefield (71 km)
Encore une belle journée de chaleur. 32°C au compteur, on essaye de compter avec Berga le nombre de bières qu’il faudra enquiller pour remettre ce soir les compteurs à niveau : on n’aura pas de trop la carriole pour transporter le fût que l’on mériterait. Nono est d’un rouge pivoine, mais tel un futur prêtre en période de séminaire, il tient le coup avec abnégation et ténacité : sûrement la promesse qu’on lui a fait il y a quelques minutes d’un bon bain rafraîchissant et d’une glace à l’arrivée. On a fait marcher notre réseau de cyclotouristes, ce soir c’est Geneviève qui nous retrouve en ville pour nous offrir le couchage chez elle. Geneviève a un air à la fois enjoué et fatigué, sûrement la faute aux trente kilomètres de course à pied qu’elle vient d’enquiller. Sa nouvelle passion, qu’elle nous dit. Geneviève a aussi les yeux d’un bleu délavé, peut être à force d’avoir avoir eu l’iris trop exposé aux vives couleurs du monde – plus de six ans de voyage à vélo à son compteur, dont une traversée du Tibet par le Yunan … celle qui m’évoque des barrages policiers chinois sur les contreforts de l’Himalaya tibétain – elle, avait eu l’intelligence de les passer de nuit. On dépose nos vélos à l’entrée d’un chemin qui zigzague dans les bois. Geneviève et son compagnon Pierre partent pour quelques jours plus au nord avec leurs paddle boards, et nous laissent l’usage de leurs cabines, construites (pas très légalement me précise-t-elle) dans une forêt dense. La cabine d’hiver, dans le creux d’un petit vallon, est chaude, calfeutrée et plutôt sombre – avec son poêle, un refuge parfait pendant les températures basses. La cabine d’été, quelques dizaines de mètres plus haut, à flanc de colline, permet de profiter du soleil couchant : elle est bien plus aérée, avec sa façade ouest uniquement protégée par une moustiquaire. On descend piquer une tête dans la rivière de Gatineau, Noah en profite pour oublier sa glace, nous les bières, mais au retour nous sommes d’accord pour monter à la résidence d’été : au moment de se coucher, tout le monde aura la tête dans les étoiles.

Jour 8 : Wakefield – Ottawa (56 km)
Pour partir véloter dans la forêt québécoise, une personne avertie aura bien vérifié la météo – non celle qui colore le ciel de nuages gris ou d’un soleil éclatant, mais celle que l’on appelle « Bulletin prévisonnel d’activité moustiques ». Elle est définie par trois indicateurs : la mouche noire, le maringouin et la mouche à chevreuil. La mouche noire, c’est une buveuse de sang, elle pique. Le maringouin, c’est le moustique version locale : rien ne le distingue de notre espèce française, hormis que le modèle tigré ne semble pas avoir conquis le marché québécois. On n’y fait presque plus attention. La mouche à chevreuil, aussi appelée « frappe-à-bord », a la particularité de te dépecer un morceau de peau avant de passer à l’œuvre : une autre cousine de notre taon pyrénéen, de la famille de celle qui t’arrache un gémissement et te marque significativement la peau. Aujourd’hui, c’est alerte forte sur les mouches noires, faibles pour les autres espèces. Pourtant, quand je vois à mes côtés Berga appuyer fort sur les pédales, et qu’on devine dans la prolongation de sa crinière blonde une horde de mouches à chevreuil, volant en escadrille serrée à près de 30 km/h, on comprend que la journée ne va pas être de tout repos. Ca me souvient ces vieilles images d’un élan galopant dans la toundra arctique, poursuivi par un nuage dense de moustiques, et qui finit par se jeter dans un marécage pour y échapper à la meute des vampires. A quelque chose malheur est bon : notre moyenne horaire de la journée a augmenté de 2 km/h.

Un Commentaire

  1. Vous êtes des oufs :).
    Je me disais bien que vous alliez faire 1 mois d’activité intensive avant de rentrer .

    Profitez bien et à bientôt

    Bisous à tous les 3

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