Les barrières me fascinent. Elles se lèvent, elles descendent, les voitures passent ou s’arrêtent, quelle importance elles ont ! J’avais cru comprendre qu’avec le passage de frontières, je pourrais voir plein de barrières. Mais que nenni ! « L’espace Schengen » m’a expliqué Papa, rajoutant « Il n’y a plus de barrières, on peut circuler librement ! ». Alors quelle joie quand dans cette nouvelle journée ensoleillée, du fond de ma carriole, j’ai vu qu’en haut de cette côte, il y avait plein de barrières : on arrivait à la frontière entre la Croatie et le Monténégro. On a donc dû s’arrêter, comme les voitures devant nous, j’ai vu Maman sortir des papiers, les tendre au monsieur avec un sourire … et là j’ai compris quel était le sens de cette barrière qui ne s’est jamais levée pour nous.
« Go back to Dubrovnik » a dit le monsieur dans la petite maison à côté de la barrière, « validity date for your passport is expired ». J’ai vu l’air ahuri de mes parents, cet instant prolongé où ils ne bougeaient plus, suspendus à un fil du temps, avant que le monsieur ne ré-insiste, en ouvrant la porte de sa petite maison : « Go back !! ». Alors mes parents ont fait demi-tour et se sont posés un peu plus loin, en retrait de cette barrière qui ne voulait pas nous laisser passer. « Mais pourquoi le monsieur il était en colère ? » que j’ai demandé, histoire d’apporter un peu de clarté à cette histoire. Papa nous a alors expliqué que la date d’expiration de son passeport était passée depuis plus d’un mois, et qu’on ne pouvait pas rentrer au Monténégro. Maman a levé au ciel, Papa répétait « Mais comment j’ai pu laisser passer ça ! ». Et moi de me demander quelle sorte de parents j’avais hérité pour ne pas être pas capables de lever une simple barrière.
Papa et Maman se sont mis alors à échafauder plein de plans. C’est Maman qui a eu la première idée : « Et avec une carte d’identité, tu penses qu’on passerait ? ». « Oui » a vérifié Papa. « Alors on se fait envoyer ta carte d’identité par Chronopost ici ». Papa a téléphoné à Didier, notre voisin bouanais. « Il va venir nous ouvrir la barrière Didier ? » que j’ai demandé. Didier a bien trouvé la carte d’identité de Papa dans notre maison, mais j’ai vu à l’air de Papa que quelque chose clochait. Il s’est retourné vers Maman et a dit : « Ah ben ça c’est bingo, la date d’expiration de ma carte d’identité est aussi dépassée ! ».
Papa s’est mis à élucubrer sur toutes les solutions possibles, mais le pragmatisme de Maman s’est vite imposé : « Trouvons un endroit pour dormir ce soir ». On est reparti en sens inverse, ça montait de nouveau, j’ai dû donner de la voix en voyant mes deux vieux debout sur les pédales en train de transpirer ce qui leur restait d’eau et de bière pour grimper une colline … Et on s’est arrêté chez un vieux monsieur croate bedonnant et un jeune anglais avec les cheveux en bataille : Marko et James – deux hommes qui me souriaient, perchés là, sirotant ce qui semblait être un jus de raisin local en face du soleil couchant de la Mer Adriatique. Ils vivaient là, dans deux maisons qui ressemblait plus aux containers que je vois sur les bateaux dans les ports, au milieu d’un foutras de vieilles choses rouillées. Ils avaient peu de choses à offrir, mais nous ouvraient grands leurs bras : un terrain pour poser la tente, perdu encore plus haut sur la colline, un pommeau d’arrosoir en plein air pour une douche réfrigérée et une table, servant de mangeoire aux fourmis, aux chiens et aux hommes. Mais surtout, une vieille draisienne, toute rouillée, avec des roues voilées et une lampe hors d’âge : je venais de trouver mon paradis. Alors pendant que j’enchaînais les descentes à deux roues dans les cailloux, je surveillais d’un oeil Papa qui semblait indifférent à ce confort rustique, appréciant la douche « à poil tout nu » comme il dit, devant un décor de carte postale, tandis que Maman bouillait devant l’insalubrité des lieux, du même air horrifié qu’elle a quand elle voit la saleté envahir mon tee-shirt lavé de la veille.
Et la soirée avançait, je fatiguais sur mon destrier tandis que mes parents et nos hôtes ferraillaient sur les options : Basculer vers l’espace Schengen là où les douaniers sont moins regardants sur la validité du passeport ? Faire le forcing auprès de l’ambassade de France à Zagreb pour avoir un passeport en urgence ? …
Le lendemain, sur la route qui nous ramenait à Dubrovnik, j’ai écouté Papa et Maman parler de la suite de notre voyage.
- « Ca ne dérange pas de patienter ici, quelques jours ou quelques semaines, suivant si on obtient un passeport en urgence ou non ! » a dit Maman. « Le résultat de ton coup de fil à l’ambassade de France est plutôt positif non ? »
- « Oui. Et en attendant le nouveau passeport on peut laisser les vélos ici et on continue à voyager en train ou bus dans l’espace Schengen, vers la Roumanie et la Bulgarie par exemple, on ne sera pas contraint par le problème du passeport, » a rebondi Papa.
La discussion a duré tout l’après-midi sur la route, de vélo à vélo, d’arguments à arguments. Maman semblait ouverte aux idées, mais voulait une décision, tandis que Papa semblait indécis et avait du mal à s’arrêter sur une solution.
Et alors que le soleil se couchait, loin vers l’ouest, Papa s’est alors retourné vers moi et m’a montré le grand disque jaune sur l’horizon :
- « Nono ça te dit de prendre le bateau et de manger des pâtes et des pizzas ? »
Ya pas à dire, parfois Papa il sait vraiment me parler. Je ne pouvais dire que oui bien sûr.
Et voilà, je vous raconte ça alors que j’ai passé la nuit sur le pont d’un bateau, tanguant doucement sur des flots sans fin, et qu’on vient de débarquer avec nos vélos et ma carriole dans un nouveau port avec plein de mouettes, de pêcheurs dans leur petite barque, et d’innombrables « Il bambino ! Belliiissimo » qui saluent mon passage. Il paradiso italiano !
Mais en fait … pourquoi attend-on toujours que les barrières s’ouvrent alors que l’aventure recommence souvent quand elles se ferment ?
Jérôme t’es au top ! Un vrai champion.
T’as fais exprès hein ? Pour briser la routine n’est-ce pas?!
Je me régale à vous lire et je rigole beaucoup. En parallèle je suis en Alaska grâce à jeje, mais le Denali va être gravi ce qui annonce la fin du bouquin. Snif. Pour notre part nous sommes désormais sur l’Aubrac. J’ai presque l’impression d’être de retour en Auvergne. On a pris jusqu’à 40 cm dans la tronche, ça fait bien plaisir !
Coucou les amis !
Le voyage est plein de surprises. Je suis certaine que ce nouvel itinéraire vous fera découvrir de belles choses. L’imprévu a souvent du bon ; )
Allez profitez bien et faites nous rêver.
Bisou à vous 3
Anna