Alaska, back to the wild

En 2013, lors d’un périple de trois mois en Alaska, entre mars et juin, qui alternait plusieurs semaines de ski de randonnée, 2500 km à vélo et l’ascension du Denali (Mont McKinley), j’avais tenté par deux fois de parcourir à vélo la Denali Highway – près de 220 km d’un bout de piste perdu au centre de l’Aslaka, entre les hameaux de Paxson et Cantwell, piste enneigée durant neuf mois de l’année. Mais à chaque fois, cela avait été impossible, la couche de neige étant encore trop importante.

Dix ans plus tard, en 2023, mon « vieux » compagnon de route Alex est de la partie, on ressort le matériel qui lui n’a pas pris une ride (ou presque), on fait quelques réserves de graisse en prévision du froid : on va parcourir la Denali Highway à pied, car nous avons la confirmation quelques heures avant le départ que la consistance de la neige rend les raquettes inutiles et les skis encombrants. Décollage le lundi 27 mars pour Fairbanks, au centre de l’Alaska. Il nous faut deux jours pour préparer notre périple, faire des réserves d’essence, de nourriture, tout ce dont on a besoin pour survivre pendant deux semaines dans un milieu isolé. Le 30 mars, nous rallions Paxson, démarrage de notre aventure.

Démarrage sous un temps couvert, avec quelques flocons. Avant que cela ne se dégage. Comme annoncé, sur cette partie, la piste est bien tracée, il y a eu un festival de motos neige dans le coin il y a quelques jours, l’Artic Man. Du coup, pas de chemin à « casser » dans la neige profonde. La température est plutôt douce, elle oscille entre -5°C et -10°C. Nous trouvons le soir un emplacement en bord de route « protégé » par une bosse. Cela tombe bien, car un vent moyen se déclenche en milieu de nuit, apportant avec lui des chutes de neige.

Le vent forcit dans la journée qui suit, on remonte les bordures d’un immense glacier. Le dénivelé, même si pas très important, et le manque d’habitude de tracter une luge, limite notre progression à une vingtaine de kilomètres par jour, pour 6 heures de marche environ.

Le froid s’installe le lendemain, un -18°C bien sonné au matin, l’intérieur de la tente est vitré par la glace. Départ sous la neige, nous attaquons les dernières pentes du col Maclaren sous le soleil, c’est le point le plus haut du parcours, les paysages sont sublimes. Nous trouvons un superbe emplacement pour camper, à 1000 mètres d’altitude, nous surplombons la vallée. Les températures descendent encore pendant la nuit.

Cela contraste avec le soleil du lendemain après-midi qui nous réchauffe mais nous oblige à nous couvrir pour éviter sa morsure. On rencontre beaucoup de traces d’animaux (renards, orignaux …), mais il faudra encore deux jours rencontrer le premier orignal, à plus de 300 mètres de distance. Le panorama du soir, avec l’Alaskan Range en fond de décor, est encore magnifique. La nuit continue à creuser dans les négatifs, on touche les -25°C désormais.

Le réveil est compliqué – la glace a tout envahi, et ralentit tout. Le réchaud est moins réactif, les mains gèlent et les lèvres collent au métal, les restes de la gamelle gèlent en moins d’une minute. Mais le soir venu, nous atteignons l’Alpine Creek Lodge, où une famille nous accueille dans un nid douillet. Nos affaires, humides, vont pouvoir sécher.

Le petit déjeuner du lendemain matin est royal : oeufs / bacon / pain de mie … mais vu notre dépense énergétique, c’est insuffisant. On y ajoute nos éternelles tartines de beurre de cacahuète et des barres de céréale. La température est plus douce ce matin, sûrement la conséquence d’avoir passé une nuit au « chaud ». La progression est rapide, notre « acclimatation » prend forme, nous sommes désormais capables de marcher 7 à 8h pour 25 à 30 km journaliers. Si on additionne les 3 heures de préparation le matin, et celles du soir (dont 2 au moins à faire fondre la neige), le reste du temps (10 à 11h) est passé à dormir, domaine où j’excelle, Alex un peu moins !

Le quotidien est désormais bien réglé, la température s’est temporairement un peu radoucie, même si cela ne dure que deux jours avant de retomber largement en dessous des -20°C la nuit, pour -10°C à -15°C en journée. Nous croisons des attelages de mushers féminins en pleine course, ce qui nous vaut quelques échanges et de nombreux encouragements. Parmi ces rencontres, un Patagon et Dean Osmar (vainqueur de l’Iditarod en 1984 et supportant sa fille dans la course) nous taillent plus longuement la bavette. Le mot est passé, et le peu de moto neiges qui nous croisent nous reconnaissent désormais : « C’est vous les français qui faites la Denali Highway à pied ? ».

Dean Osmar aidant sa fille à nourrir l’attelage des chiens

L’essence a fini par pénétrer nos céréales du matin et nos pâtes du soir, ce qui donne à nos rots une forte odeur de pétrole. On s’y fait, en évitant les allumettes. Alex a réussi à se forcer à aller faire ses besoins avant de se coucher, ce qui lui évite de se trimballer en pleine pampa glaciale les fesses à l’air à 3 heures du mat’.

Neuf jours plus tard, on arrive à Cantwell : on avait prévu entre 12 et 14 jours, mais il faut croire que la consistance de la neige et les passages des différents convois de chiens de traîneau et de motos neige nous ont bien aidé à accéléré le rythme.

On profite des jours qui suivent pour continuer à randonner dans le Denali National Park, à la rencontre de nombreux orignaux qui trouvent refuge dans la neige fraîche, alors que les températures n’en finissent pas de baisser : l’Alaska va connaître en 2023 les fêtes de Pâques les plus froides depuis 50 ans, ce qui finit par nous pousser pour les derniers jours à rentrer en stop sur Fairbanks, à lâcher la tente, et à louer une voiture pour visiter le sud de l’Alaska, ses fjords, ses ports et ses glaciers … et aussi faire un tour en petit coucou au dessus du massif du Denali, une cerise extraordinaire sur ce gâteau somptueux, sachant que ce sommet de 6194 mètres n’est que très rarement visible !

Survol des glaciers du Denali, avec le sommet en fond de carte postale

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