Un petit vélo dans la tête

4 à 5 heures passées sur le vélo dans une journée, c’est à la fois peu ou beaucoup. Peu si on considère que le reste du temps ne sera que « bruit et fureur » au côté de notre rejeton survitaminé (en témoignent tous les enfants qu’il rencontre, harassés par les incessantes courses poursuites qu’il leur impose à chaque arrêt), beaucoup si on considère toutes les pensées qui nous traversent la tête durant le pédalage (j’enlève à ça le temps à discuter avec ma belle de la pluie et du beau temps et celui à transpirer, l’esprit vide, durant les montées).

Du coup, dans un ordre non cohérent, voilà les quelques pensées qui ont occupé mon cerveau ces derniers jours.

A propos … de la pauvreté au Laos.
A trop voyager dans une Europe où la pauvreté est souvent ghettoïsée à des aires bien spécifiques, au Laos on se retrouve rapidement face à elle. Certes, à mon expérience et ressenti, le « choc » n’est pas aussi extrême qu’en Inde, voire certains pays d’Afrique, où la saleté, la malnutrition et le dénuement coexistent dans un cloaque incomparable à « notre » vie aseptisée … mais la pauvreté interpelle au Laos, surtout quand elle côtoie des signes évidents de richesse … tels ces 4*4 flambant neufs parcourant les routes en terre rouge du pays. Le pays est souvent épinglé pour sa corruption rampante, un des fléaux qui empêcherait son développement ; l’accaparement des richesses (qu’elles soient minières, forestières ou touristiques) se fait par un petit nombre, supporté ou dirigé par des intérêts étrangers. La pauvreté se mesure aussi à l’opposition ville-campagne : hygiène, nourriture, bâti, infrastructures et accès aux services, deux mondes semblent se côtoyer sans se rencontrer. Sauf lorsque de pauvres campagnards viennent mendier le sou en ville. Le développement de trois des pays voisins, la Chine, la Thaïlande et le Vietnam (j’enlève le Cambodge, qui n’a pas grand chose à envier au Laos) laisse sceptique quant à ce sous-développement laotien. Il serait facile de dire que la pauvreté de certains rend d’autres plus prospères.

A propos … des cyclistes en Asie du Sud-Est.
Le vélo est l’instrument du pauvre. On voit bien cela sur les routes : mamies, papis, jeunes écoliers, travailleuses et travailleurs sans le sou, tout ce beau monde se déplace à vélo. Car gagner plus d’argent signifie souvent l’achat d’une moto ou d’un scooter, la voiture restant une exception pour la grande majorité de la population laotienne … alors qu’elle se démocratise doucement au Vietnam. En plus des locaux à vélo, on croise aussi quelques voyageurs étrangers à vélo. Et à les saluer, voire à discuter avec eux, je me suis aperçu d’un changement. Là où je croisais il y a quelques années un prototype récurrent du cyclo-touriste, plutôt jeune, chevelu et barbu, suant, brun de poussière, aux yeux délavés par l’immensité des paysages traversés (son origine européenne l’avait poussé à traverser le Moyen Orient et l’Asie Centrale pour arriver ici), mais des yeux encore capables de s’illuminer à chaque bol de riz croisé, je constate qu’aujourd’hui une nouvelle population a adopté la petite reine. La démocratisation du voyage à vélo a amené sur la route des asiatiques (thaïlandais, chinois, ou vietnamiens) – voire des occidentaux pas franchement sportifs ou aventureux dans l’âme. Dans tous les cas, les nouveaux voyageurs à vélo, on applaudit : plus on est nombreux, moins ça fait de bruit sur la route !

A propos … du virus de la bière mexicaine.
Il y a environ un mois, un membre du personnel d’un hôtel du centre du Vietnam avait tenu à nous préciser à l’heure du petit déjeuner : « Vous savez, nous n’accueillons plus de touristes chinois ici », comme un gage de qualité de l’établissement. J’ai eu petit moment de compassion silencieuse pour les voisins chinois … et j’ai aussi failli lui répondre que j’avais arrêté de consommer de la Corona (depuis 20 ans au moins !), et que je m’étais converti à la Bia (bière) Saïgon, gage de qualité nationale – donc moi aussi je prenais mes précautions. Mais bon j’ai tout ravalé – mon humour a souvent du mal à faire mouche. Depuis ces temps obscurs de pré-pandémie, de l’encre a coulé dans les journaux, apparemment le coronavirus n’est pas lié à une surconsommation de bière mexicaine mais plutôt à une proximité avec des animaux sauvages ou des reptiles, il ne fait plus de délit de faciès en s’attaquant uniquement aux personnes d’origine asiatique, il sait voyager, il aime bien d’ailleurs l’avion et le bateau, et il a une préférence pour les vieux plutôt que les jeunes. Jusqu’au moment où … on a été flashé à 37°2 d’un coup de laser par les douaniers de la frontière vietnamienne … alors qu’on venait de grimper une côte de 300 mètres : du coup on est rassuré, on doit être immunisé avec du sang de serpent dans les veines.

A propos … de la suite.
Il y a un mois, on parlait de rentrer au Vietnam après cette escapade laotienne, avant de continuer notre progression vers le nord sur la côte chinoise, direction Hong Kong – nous et les Chinois, c’est une tradition, il faut qu’on leur rende visite aux années bissextiles. Mais bon depuis la mise en quarantaine du 1/5è de l’humanité, les accolades avec nos potes sinisés, il faut oublier. On a donc changé nos plans : on va lâcher nos vélos à Hanoï, au nord du Vietnam, puis on prendra un avion début mars pour le Japon, et pourquoi pas la Corée du Sud dans la foulée. Et nous reviendrons au Vietnam récupérer nos vélos, pour continuer l’aventure à deux roues plus au sud, en direction de la Birmanie et la Malaisie. M’enfin, à courir les cases, il va falloir être agile pour éviter celle où est mentionnée « quarantaine ».

Les commentaires sont clos.