Easy rider

Conduire à droite de la route, s’arrêter au feu rouge, respecter les passages cloutés, essayer de suivre les limitations de vitesse, doubler à gauche, ne klaxonner qu’en cas de danger immédiat … et si nous avions été mal habitués ? Bienvenue au Vietnam : efface tout ce que tu as appris, et au lieu de râler contre ces « incivilités » qui hérissent ton éducation, essaie de comprendre comment des millions de personnes s’accommodent tous les jours ici de règles différentes. Afin de te faire une place parmi les 96 millions de vietnamiens qui utilisent l’une des 40 millions motos ou scooters (ils sont souvent à plusieurs dessus), et suivent peu ou prou ces 10 lois de la route.

1 – Malgré ton appréhension à l’eau tu te jetteras.
Le premier écueil est de se « glisser » dans le trafic routier. Car autant de l’extérieur les règles de conduite au Vietnam semblent anarchiques et incompréhensibles, autant au milieu du flot pétaradant des motos une mécanique des fluides bien huilée semble se mettre en place. Voilà, souffle un coup, tout devient plus clair.

2 – Ton meilleur ami le klaxon sera.
Le vietnamien n’a pas d’yeux, il fait tout à l’oreille. Donc si tu comptes te rapprocher de lui, pour le doubler ou le croiser, ne compte pas sur les rétroviseurs qu’il n’a pas ou dont il ne se sert pas : fais marcher le klaxon. Ce n’est pas forcément idéal pour l’ouïe sur le long terme. D’ailleurs certains sont précautionneux, utilisant un klaxon au volume décroissant – lancé à une centaine de mètres dans le style corne de brume, il finit comme un gazouillis d’oiseaux au moment où le 38 tonnes déboule à tes côtés. Par contre, avec une simple sonnette de vélo totalement inaudible dans le brouhaha ambiant, évite de doubler !

3 – La loi de la jungle au code de la route tu appliqueras.
La priorité sera toujours au plus gros. Au sommet de la chaîne routière, on trouve les camions et les bus, des déménageurs qui s’accaparent le centre de la route et roulent avec une vitesse plus élevée que la moyenne. Viennent ensuite camionnettes ou 4*4, qui essaient de se faire plus gros qu’ils ne sont en l’absence des rois de la jungle. Puis l’immense fourmilière des motos grappillant le moindre espace sur la chaussée, bravant parfois les plus gros pour se tailler une place. Et enfin, tout au bas de la chaîne routière, les autres, dont les vélos font partie – à noter que les piétons ne comptent pas, servant de chair à cabosser à tous les autres usagers du bitume.

4 – Dans ton cheminement la ligne la plus directe tu trouveras.
Tu te poses la question de comment prendre cet embranchement qui part sur la gauche et t’oblige à traverser le flux de véhicules arrivant en face de toi ? Tout en respectant la règle ci-dessus, vise au plus court, traverse de bord à bord la chaussée, doucement, sans hésiter mais sans accélérer. Et le flux s’adaptera à ta trajectoire. Tu te dis qu’il est moins dangereux de remonter ta voie en contre-sens plutôt que de traverser la chaussée pour arriver à ton but ? Lance-toi, colle-toi au bord de ta chaussée en contre-sens, les motos arrivant en face s’adapteront à ton déplacement en te laissant le mètre nécessaire pour que tu avances … et monte sur le trottoir en cas d’urgence. Ceci explique comment chaque simple double voie se transforme ici en quatre voies avec des motos arrivant en sens opposé sur chaque bord de route.

5 – En arrière jamais tu ne regarderas.
Déjà c’est une question de santé : tu éviteras ainsi les torticolis et les montées de stress à chaque arrivée de camion. Et puis fais confiance à l’intelligence collective mâtinée d’une propension évidente à utiliser le klaxon : les gens derrière t’avertiront toujours de manière sonore s’ils comptent te dépasser ou s’ils souhaitent que tu te pousses de leur chemin. C’est comme cela que la priorité à droite est devenue ici une évidence : toutes les motos ou véhicules déboulant de la droite, d’un parking, d’un chemin ou d’une route ne regarderont jamais si quelqu’un arrive sur la route principale. Ils attendront le coup de klaxon pour adapter leur trajectoire. Donc ferme tes yeux et ouvre tes oreilles petit Padawan.

6 – Aux « Hello » qui ponctuent ta route tu répondras.
Ben oui, le Viet est gentil, et il aime saluer le cyclo-touriste. Mais ne te laisse pas déconcentrer, ta mission tu dois terminer.

7 – Brusquer ta conduite tu éviteras.
Pense que la conduite est une pratique collective, et où malgré les apparences, chacun fait bien plus attention à l’autre car il sait que tou(te)s les autres peuvent être un potentiel danger. Tes déplacements doivent être anticipables et toujours à vitesse réduite : les vitesses excessives, les écarts de dernier ressort, les freinages d’urgence, tout ce qui peut perturber le long fleuve presque tranquille de la circulation au Vietnam est donc fortement déconseillé. « Tu es le petit sédiment qui avance tranquillement dans le grand fleuve et finira comme les autres à la mer » (dicton vietnamien de la soirée).

8 – Imiter les Vietnamiens tu t’abstiendras.
Rouler sur les trottoirs, brûler les feux rouges, ne pas mettre le clignotant, oublier de respecter la signalisation … tout te pousse à suivre ces règles vu que « tout le monde le fait ». Mais il ne faut pas oublier que tu n’es pas chez toi, et que ces pratiques interdites t’exposent à la réprobation unanime : pas celle des policiers de la route (on ne les a pas encore rencontrés en près de 10 jours de vélo !), mais plutôt celle des mamies posées en bord de route en train de nettoyer leurs pomélos ou leurs noix de coco : l’humiliation ultime.

9 – Traverser la route en tant que piéton tu oseras à tes dépends.
Il nous a fallu quelques bonnes minutes d’explication à Noah pour lui faire comprendre que non, ici on ne peut pas se jeter sur les zébras d’un passage clouté en toute confiance et sans garder les yeux grand ouverts. Non, on n’est plus en Suisse. Ici, on serait plutôt à Berlin en pleine guerre froide : traverser la route en tant que piéton vaudrait bien une tentative de franchissement du Mur.

10 – Rester zen tu sauras.
Ce n’est pas parce que le Vietnam affiche un taux de mortalité routière cinq fois supérieur à la France que cela te donne le droit de t’exciter sur tes camarades du bitume. Si tu tiens vraiment à t’exciter, rentre chez toi, reprend ta voiture sur la N20 entre Tarascon et Ax les Thermes, et insulte les Toulousains qui ne savent pas conduire et les Andorrans qui ne respectent pas les limitations de vitesse : tu seras à ta place. En attendant, ici, petit samouraï, souris, accepte la paisible queue de poisson de la camionnette devant tes roues et le salut amical d’un 38 tonnes au moyen de son klaxon-4-tons-130-décibels.

Et puis prends un moment pour t’interroger : le comportement sur la route définit-il le degré d’une civilisation ?

La cadreuse prend des risques !

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