Ou comment relier la Grèce à la Catalogne en 4 jours.
Moi j’aime les choses bien préparées. Quand on me dit « Ce soir on dormira dans une maison et on mangera du poisson dans un restaurant », faut pas me vendre à 6 heures du soir qu’on va planter la tente dans un champ d’orangers, oranges qui vont d’ailleurs fournir de dessert après le plat de pâtes du dîner, vu que c’est le seul féculent et le seul fruit qu’on a sous la main. Du coup, par nature, les aléas, j’aurai tendance à ne pas les provoquer.
Papa, lui, il n’est pas précautionneux comme ça. Quant à la nuit tombée, sur le chemin du port de Patras, il lâche tout goguenard à Maman » Tu sais, ce voyage est vraiment lisse, hormis le problème du passeport, il ne nous est presque rien arrivé, je veux dire, ces petits inconvénients qui font dérailler le quotidien », c’est clairement une insulte à toutes les divinités grecques qui veillent sur notre voyage et prennent soin de ne pas éteindre la bonne étoile qui nous suit depuis des semaines.
Pourquoi provoquer les Dieux, alors que devant nous on avait encore un trajet en bateau pour traverser la Mer Adriatique, de Patras (Grèce) à Brindisi (Italie), une journée de transition en train et une autre en vélo dans la botte italienne pour rejoindre la côte ouest à Civitavecchia (un port non loin de Rome), avant une nouvelle longue navigation jusqu’à Barcelone.
Alors bien sûr, la bonne étoile, elle a scintillé un petit moment encore, puis elle a commencé à clignoter, comme un appel de détresse, de manière de plus en plus espacée, de plus en plus faible, comme si elle nous disait « Désolée, je vous laisse, bonne chance, vous en aurez bien besoin ! » et elle s’est éteinte. Moi du fond de ma carriole, j’ai bien vu tout ça, la provoc’ de Papa, le silence courroucé des Dieux, et surtout cette étoile qui nous abandonnait contre son gré, rapatriée au bercail par les puissances du ciel. Je n’ai rien dit, mais la suite des évènements m’a donné raison.
Ecoutez, ce qu’en moins de 4 jours, on a vu ou vécu :
- un ferry dérouté de sa route internationale et ne pouvant pas nous récupérer dans le port où on l’attendait,
- la préparation d’un voyage de près de 24 heures sur un navire avec seulement de quoi faire un petit déjeuner,
- une fouille de nos sacs de voyage débouchant sur la confiscation d’éléments de notre matériel de camping,
- une personne sensée nous héberger qui s’est rétractée au dernier moment, nous laissant dans la nuit, la pluie et le froid,
- nos vélos bloqués dans une cave pendant de longues heures, alors que pendant ce temps-là le train pour lequel nous avions acheté des billets partait,
- une journée à vélo de 80 km avec 60 km/h de vent de face, ce qui est habituellement réservé à des coureurs du Tour de France,
- des bruits sourds et répétés dans la coque d’un bateau gigantesque, du style l’iceberg qui fait « toc-toc-toc je peux rentrer s’il vous plaît ? » dans la coque du Titanic … me faisant frémir en attendant la sirène d’évacuation sur la couchette,
- des douaniers qui se sont penchés sur mon passeport pendant de longues minutes comme si j’étais un dangereux mafieux en transit dans sa carriole …
Mais surtout, et celle-là j’ai encore du mal à m’en remettre, j’ai découvert que l’Italie fabriquait aussi des pizzas fades et sans faveur !!! Depuis le temps que je réponds à chaque fois au cri de Papa « Italia ! » par « Pasta i Pizza ! », je l’ai encore en travers de la gorge, la tranche de pain au jus de tomate.
Aaaah, bien sûr, mes parents, ils vous diront que tout s’est bien passé au final, que c’est le genre de petits détails qui donnent sa saveur au voyage. Que si on ne pouvait pas aller à Brindisi en Italie, et ben on irait à Ancône, quelques centaines de kilomètres plus au nord. Que si on n’avait pas grand chose à manger, et ben qu’on serait créatif avec le peu qu’on avait, Papa ressortant sa vieille recette pain de mie – pâte à tartiner au chocolat noisette – rondelles de banane. Que si on nous confisquait nos bouteilles de gaz, et ben qu’en attendant d’en trouver d’autres, je connaitrai mes premières pâtes « cuites » à l’eau froide, bien avant mes années étudiantes. Que si on ne trouvait pas d’hébergement, et ben on rencontrerait Domenico, qui trouverait une solution à nos problèmes de couchage. Que si nos vélos étaient inaccessibles et notre train envolé, et ben on appellerait de nouveau Domenico, beau parleur et Garcimore burlesque, pour débloquer la situation. Que la solution à une journée de 80 km à vélo avec vent de face était la même qu’une journée sans vent : il faudrait appuyer sur les pédales. Que pour revivre le Titanic, il aurait fallu que Maman se dévêtisse pour la peinture comme Kate Winslet, que Papa se fasse beau comme Leonardo, et que moi je disparaisse, vu que je n’étais pas encore sur la photo – à tous les étages, aucune chance à vrai dire. Et pour les douaniers, que j’avais de toute façon qu’à tendre les poignets, avec mon plus bel air résigné, prêt à l’incarcération : un vrai laisser passer pour toutes les frontières du monde.
Par contre, pour la pizza fade et sans saveur, silence radio des géniteurs, pas de solution. Et pendant qu’eux s’enfilaient une Birra Moretti La Rossa pour essayer de relever le tout, je ruminais sur mon sort. Et même là, mes parents vous diraient : « Il faut relativiser ces petits aléas … et voir la chance que l’on a de voyager ! ». Oui, de la chance, parlons-en …
Un petit salut de Patrick et Sophie qui dînons avec des barcelonais (Núria et Manu) 😊
Salut à vous,
Nono, Vincent va te dire qu’il n’y a pas meilleures que ses pizzas 🙂
bonne route et à bientôt
bises
Les petites galères font les grands souvenirs !
Si vous passez par la Fount au retour, bienvenue ! Lits, poêle à bois, et repas chaud. Des pensées chaleureuses et des bisous…