Mes vieux, ces bourgeois de la route

Moi je m’en fiche du confort. Donnez-moi un mini matelas gonflable et je dors sur un sol caillouteux sans me plaindre. Donnez-moi une assiette de pâtes et jour après jour, j’en fais mon affaire sans rechigner. Accrochez moi à une carriole pendant des heures sur une route cabossée et j’en tire mon parti, entre siestes et petites histoires. Dites moi qu’il faut marcher pendant deux heures sous le soleil pour visiter les ruines d’une civilisation perdue (un site historique selon Papa et l’Unesco, un tas de pierres pour Maman et les autres), et je prends mes lunettes de soleil, mon chapeau, ma gourde et mes baskets et me voilà en mode randonnée, prêt à jouer les Indiana Jones Junior.

C’était en tout cas un peu l’éducation que j’avais reçue jusque là, pendant ces quatre mois à sillonner l’Europe : accepter la météo et la Providence, ne pas me plaindre du changement permanent, essayer même de trouver des sujets de réjouissance là où d’autres enfants de mon âge auraient poussé des cris d’orfraie.

Mais là quelque chose a changé. A vrai dire j’ai du mal à reconnaître mes parents.

Parlons d’abord nourriture, un sujet éminemment sensible en famille. Là où je devais il y a quelques mois me contenter d’un petit déjeuner composé d’un mélange de céréales à mâchouiller longuement, d’un déjeuner mangé sur le pouce le midi, fait de pain, de fromage et de quelques légumes, et d’un plat de pâtes accompagné de l’inusable et délicieuse salade de Maman pour le dîner, aujourd’hui je ne connais qu’un mot qui répond à toutes nos faims : « Restaurant ». Certes la gargote de rue, celle où il ne fait pas bon mettre le pied en coulisses de peur de s’enfuir en courant poursuivi par une armée de cafards, ne nous laisse que peu de choix : généralement le pho, la soupe à base de nouilles de riz, et le com, plat de riz à partir duquel tous les accompagnements se déclinent. Mais mes vieux ne s’arrêtent pas en si bon chemin : le soir, dans les grandes villes, ils visent de « vrais » restaurants, où la palette culinaire s’élargit, entre viande, poisson, grillé ou en sauce, nems, galettes, tofu, légumes frits, … Et pendant qu’ils s’empiffrent de toutes sortes de mets, j’en viens à regretter les soirs où Maman disait invariablement, comme une vieille comptine : « Pâtes ou riz ? Sauce tomate ou pesto ? »

Parlons aussi logement … J’aurai dû avoir la puce à l’oreille avant de partir en Asie. Notamment quand j’avais glissé « Mais pourquoi on ne prend pas la tente ? » au moment de faire les sacs. « On n’en aura pas besoin » m’avaient répondu mes géniteurs, sans autre forme d’explication. Du coup, au premier soir de notre arrivée, j’ai demandé innocemment « On dort en camping ? », et je me suis entendu répondre « Non, à l’hôtel ! ». Un mot que je n’avais jamais entendu jusque là, « Hôtel ». Mais que j’allais apprendre à bien connaître. Certes lors des premiers jours passés ici au Vietnam, je regrettais presque la cabane de toile qui nous avait accompagné sur les 4 premiers mois : entre les motels de bord de route dont les murs font résonner les moteurs pétaradants des motos et des camions, les auberges dont les demoiselles fardées aux hauts talons tombent amoureuses de moi entre deux portes d’hôtel, les maisons d’hôte où on est souvent bien plus de trois dans la chambre, en comptant toutes les petites bêtes qui partagent le logement avec nous … bref il n’y a pas de quoi se pavaner.

Mais progressivement le goût de mes accompagnateurs s’affine, ce qui coïncide à l’arrivée sur la côte, plus touristique que les petits villages des hauts plateaux vietnamiens que l’on traversait jusque là. Imaginez le standard désormais : une chambre carrelée de 20 à 30 m² carrés, un grand lit, bien plus souvent deux voire trois, une salle de bains privée, la télévision, même si on ne s’en sert jamais, une grande boîte attachée au mur et qui fait de l’air frais, un petit frigo, une bouilloire … sans compter un petit déjeuner servi au lever, une piscine dans le jardin ou sur le toit, des cadeaux d’arrivée, un portier qui nous ouvre la porte de l’hôtel (pour éviter qu’on la touche avec nos doigts plein d’huile de chaîne hein ?), et un autre qui se charge de la sécurité de nos vélos tout poussiéreux … il n’y a plus de limites au luxe !

A cela l’excuse de mes vieux est toute trouvée : « Ici on peut se le permettre » qu’ils disent. Moi je croyais que notre périple était le résultat d’une philosophie bien ancrée, celle qui veut qu’on préfère le moins au plus, pour ne pas réduire la vie à une quête matérielle immodérée, et qui considère comme luxe non indispensable tous les petits détails qui améliorent le quotidien. Ben non, que d’illusions perdues ! C’est juste une question de pouvoir d’achat.

M’enfin mes vieux parlent d’aller bientôt au Japon. Il paraît que la vie y est bien 4 à 5 fois plus chère qu’ici. Le retour sur le plancher des vaches va être rude pour eux. Moi les vaches je connais bien : je les vois souvent brouter sur le pré en face de chez nous à Bouan. Trois brins d’herbe grasse, un train à regarder et elles sont heureuses. Comme moi.

3 Commentaires

  1. À voir comment évoluent les choses, tu vas voir Noah, que tu vas finir ton périple, en limousine avec chauffeur et logé dans des palaces !!!
    Bisous.

  2. Bisous les aventuriers les toulousaings

  3. j espere que vous avez prevu une petite planche pour nono ,il y a des vagues prevues à DA Nang cette semaine.
    bises à tous les 3
    lolo

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