Chemi’nono

Je sais ce que je veux faire plus tard. Ne me regardez pas comme ça, avec l’air de dire que c’est encore une lubie de petit garçon. Non, moi je ne suis pas comme ces mômes qui veulent être pilotes, pompiers ou gendarmes avant leur première crise d’acné. D’ailleurs tonton Yoyo, arrête de m’offrir des camions de pompier ou des stages en caserne, Papi Pierre-Yves, n’essaie pas de faire de moi un musicien avec ta batterie, Mamina, arrête de voir en moi un futur surdoué en m’apprenant les additions et soustractions à 3 ans, tonton Mat ne crois pas que c’est parce que tu m’offres des luges que je deviendrai un champion de descente à ski.
Moi, plus tard, je serai cheminot.

Moi, quand je vois des cailloux, avant de les lancer dans tous les sens, j’imagine des ballasts. Quand je trouve dans notre aire de camping des bouts de bois, de suite j’en fais des traverses de chemin de fer. Quand j’aperçois une barrière, je l’imagine en train de se baisser, avec un feu clignotant rouge, dans l’attente d’un convoi. Quand j’entends le bruit d’un klaxon, je crois voir arriver une locomotive à vapeur sifflant son arrivée. Quand je vois une personne courir dans la rue, j’espère qu’elle se dirige vers une gare pour attraper un train qui l’emmènera loin. Le monde est une gigantesque voie ferrée ; une fois que cette parenthèse « voyage » sera refermée, je mettrai mon ambition sur des rails.

En attendant, j’apprends vite. Locomotive, wagons, convoi de marchandises ou de passager, train régional, express, à grande vitesse, train suisse, allemand, autrichien, slovaque, hongrois, je m’y repère désormais sans coup férir. D’ailleurs Papa, il est un peu dépassé. Quand je lui demande ce que transportent les trains de marchandises, car j’ai bien remarqué que tous les wagons ne se ressemblaient pas, il évacue la question comme il peut. Quand je lui demande d’où viennent et où vont les trains qui nous passent devant, je vois bien qu’il invente une réponse qui lui semble plausible. Ce n’est pas grave, je trouverai bien un jour le moyen d’avoir accès à cette tablette qui sait tout et donnera une réponse à mes questions. A moins que Papi et mes grands oncles, qui ont de l’expérience avec les trains, ne puissent me renseigner à mon retour au pays.

Bon je ne peux pas trop le blâmer à Papa, car il a la gentillesse de m’amener fréquemment en gare. La technique est simple : quand on s’approche d’une ville, où je subodore la présence d’une gare ferroviaire, je passe au sémaphore et je pique une crise. Papa a fini par comprendre que la meilleure manière de me calmer était de me faire passer une bonne demi-heure en gare à regarder passer les trains. Là, je me cale derrière une barrière, et j’observe. J’aime bien le petit rituel du monsieur à la casquette, celui que j’appelle le « lanceur de train » : il sort de son bureau, fait le tour des quais, choisit une voie et un train à l’arrêt, semble contrôler que tout va bien … Puis il siffle un coup, agite son drapeau ou sa lampe, et puis le train qui s’ébranle, doucement au début, puis de plus en plus vite. Quelle responsabilité d’être lanceur de trains ! Du coup je reste là, pas trop loin, on ne sait jamais, peut être qu’il me prendra sous son aile, et me donnera à moi aussi la possibilité de lancer un train. Papa finit par me dire, « C’est bon Nono, on y va », mais je grapille, je grapille, je me dis que la chance appartient aux patients … et vu qu’on n’est pas d’accord, ça finit souvent par dérailler.

Après, il y a les occasions bonnes à prendre. L’autre jour, je vois Maman et Papa discuter longuement autour de la carte, avant finalement de revenir vers moi et me dire : « Nono, on te fait une surprise … si tu continues à être gentil … on va prendre le ……train !!! ». Bon j’ai bien compris comment ils ont retourné le truc. Là où ils me promettent mon plus grand plaisir histoire de me faire tenir à carreau pendant deux heures, eux s’épargnent deux journées de vélo dans une campagne sans relief. Je n’ai rien dit, ils avaient l’air heureux de me faire plaisir, moi au fond ça me rendait heureux qu’ils se fassent plaisir … et puis je ne cracherai jamais sur l’un de mes plus grands bonheurs : un trajet de tchi-tchi-tchic … tchi-tchi-tchic … tchi-tchi-tchic …

Il était à deux doigts de me donner le volant !

Et puis le soir, parfois avec un peu de chance, on dort dans une maison avec des enfants qui ont des petits trains. Et là, plus besoin de manger ou de dormir, je suis contrôleur, aiguilleur, conducteur, chef de gare, manoeuvre, dirigeant de compagnie ferroviaire. Je m’imagine avec ma compagnie de chemin de fer dans le Nouveau Monde, essayant de relier la côte Ouest à la côte Est. Je pose les rails, j’imagine des virages, j’articule des aiguillages, je fabrique des tunnels et des ponts. Parfois Papa essaie de m’aider, mais là aussi, il n’est pas très doué. Comme dit Mamie Odile, « c’est ingénieur et ça sait pas se servir de ses mains ». Il est bien plus averti pour imaginer des scénarios entre passage de trains, collisions avec des voitures brûlant la priorité, attaques d’indiens enragés et vaches paissant paisiblement le long de la voie ferrée. Maman est bien plus efficace pour la réalisation : avec elle, les rails s’emboitent, les courbes se dessinent, la ligne prend vie. Le truc, c’est qu’elle n’a pas forcément de patience, et quand j’ai le malheur de renverser un pont à l’architecture impeccable, elle a du mal à revenir sur l’ouvrage.

Et puis je finis par glisser dans le sommeil, les wagons passent sans discontinuer devant moi, il paraît qu’à la fin le train siffle trois fois, mais moi ça fait longtemps que le convoi m’a déjà aiguillé vers la gare des rêves.

3 Commentaires

  1. Marrant que tu parles du Nouveau Monde. savais tu que c’est un village de Lozère créé lors de la construction de la ligne Clermont Nimes « ligne des Cévennes », certainement la pus jolie de France, vers 1870 ?
    Et sache aussi que c’est aussi ma passion depuis petit et même encore maintenant ! j’ai même envoyé un CV à la SNCF il y a 2-3 ans, sans succès ! On pourra en discuter à ton retour !!!

  2. Cheminot : ah ! que voilà un beau métier Noah !
    Quand tu seras, plus tard, aux commandes de la SNCF, n’oublie pas de remettre  » l’Orient Express » en état et en fonction… afin de nous permettre de visiter toutes les capitales d’Europe Centrale, plutôt confortablement.
    Gros bisous à toi.

  3. noah, n’oublie pas que papy pierre yves a été garde barrière de nombreuses années et qu’il pourra t’en raconter des histoires de trains

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