Ecole buissonnière

Je veux rentrer ! M’enfin entendez moi, je veux faire la rentrée !

Vous n’imaginez pas vous, maintenant que les vacances sont terminées, tous ces campings qui sont désertés par les haut-comme-trois-pommes comme moi, et sont remplis de personnes qui ont entre 20 fois et 30 fois mon âge !

Et pendant ce temps-là, mes ex-futurs potes sont tous en train de pleurnicher une dernière fois dans les bras de leurs parents, histoire de leur donner un peu de remords de les abandonner, avant de dévaler dans la cour de récréation pour une année de rigolades et de jeux, écouter la douce voix de l’institutrice leur expliquer tout ce qu’ils ne pourront pas faire et qu’ils s’acharneront pourtant à faire, dragouiller la petite voisine – car elle est sacrément mignonne avec ses bouclettes blondes, la bave qui sort de sa bouche quand elle l’ouvre trop en grand et sa voie qui monte dans les aigus dès qu’elle fait une découverte.

Je les ai entendus, dans tous les petits villages de Haute Savoie qu’on a traversés, se marrer au travers d’une fenêtre ouverte d’une salle de classe, crier à qui mieux mieux.

Mais surtout je les vois tous les jours, ces grands d’hypocrites, dire à mes parents : « Non mais avec ce voyage, tout ce qu’il va apprendre votre garçon … comment il va être éveillé … et les langues étrangères, je suis sûr qu’il en parlera trois ou quatre différentes à son retour ». Non mais arrêtez !

A qui peut-on souhaiter d’avoir comme unique perspective le fessier de son père 5 heures par jour ? De renifler des gaz d’échappement de voiture à longueur de journée ? Voudriez vous que votre enfant ait chaud quand le soleil se montre, froid quand le vent se lève … loin du confort d’une salle climatisée ? Qu’il dorme sur un simple matelas à même le sol nuit après nuit, tremblotant parfois dans la fraîcheur nocturne ? Qu’il n’ait ni chaise, ni table pour manger, dessiner ou lire ? Qu’il soit utilisé opportunément par ses parents comme une pommade d’apaisement dans les situations tendues, envoyé en première ligne pour attendrir le chaland ? Et ça lui fera quoi à l’institutrice l’année prochaine quand elle me dira « Allez mon petit, compte jusqu’à trois » et là je lui répondrai « eins zwei drei, pic et pic et colégram » dans un humour tout familial ?

Ah c’est sûr qu’à force de monter et démonter la tente, participer à la popote et la vaisselle du soir, je vais pouvoir demander à passer au grade de chef de camp chez les scouts ; à force d’être le comptable des parties de pétanque, je vais pouvoir tenir l’ancienne épicerie de Papi Pierre-Yves à mon retour ; à force de regarder les étoiles le soir venu, je vais finir par me tricoter un plaid pour les jours froids à venir avec la carte du ciel dessus ; à force d’enchaîner les baignades je vais être plus agile que tonton Yoann dans l’eau ; à force de lire les histoires de schtroumph je vais préparer un nouvel épisode que j’intitulerai « Gargamel, Schtroumphette et Azraël se sont fait la belle ».

En attendant, chaque fois qu’on visite une famille avec des gars et des filles d’à peu près mon âge, le lendemain, au moment de repartir dans ma carriole, je les vois prendre leur petit sac, leur trottinette ou leur vélo et foncer à l’école du coin.
Je les envierai presque de ce confort, de cette routine, de revoir tous les jours les mêmes têtes connues ! Et moi je reprends la route, en entendant le rituel « Quelle chance il a votre petit ! La meilleure école c’est bien l’école de la vie ! ». Mais elles sont quand les vacances de cette « école » au fait ?